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MARIE, 32 ANS : CINQ ANS APRES

  • SiTuM'aimes
  • 12 mars 2019
  • 7 min de lecture

" 5 ans après avoir repris ma liberté. 5 ans après avoir décidé que je n’étais plus sa chose, j’ouvre la boite de Pandore. Cette boite que j’avais verrouillée si fortement durant plus de 10 années de calvaire. Il y a peu. Il y 6 mois, j’avais déversé, du moins je le croyais, ma peine, ma solitude, mes douleurs. J’en avais vomi durant 24 heures. Cependant, en écrivant de nouveau, en écrivant ces lignes, seule dans ma chambre, en pleine nuit à la lueur de la lune et des lumières tamisées de la ville, je me rends compte que je n’avais fait que l’entrouvrir, cette boite. Ma tête tentait encore de protéger mon cœur de ces afflux de souffrance. Je ne veux plus de ces faux semblants, de ces illusions qui jusque-là avaient été mes bouées de sauvetage.


Alors voilà, je m’appelle Marie, j’ai 32 ans et j’ai vécu un calvaire de près d’une dizaine d’années auprès d’un homme. Si c’est comme cela que l’on peut l’appeler. Un homme, ou plutôt un moins que rien, un lâche, un traître, un sous-homme. Il s’est immiscé dans ma vie, a pris d’assaut mes failles, je lui ai offert avec innocence et naïveté ce cœur tremblant et fragile qui était le mien et il l’a réduit en miettes. Un « homme » que j’ai aimé plus que moi-même, une relation qui a détruit mes fondements déjà bien fragiles.


Durant 10 ans, je n’ai existé qu’à travers lui, son regard sur moi. 10 ans de cauchemar avec des magnifiques éclaircies, qui sont à chaque fois venues renforcer son emprise.

J’avais la vingtaine heureuse, un toit, un boulot, des amis, une famille. J’ai toujours minimisé les évènements, les situations vécues. Il y a toujours pire, bien pire. Je n’étais pas une femme battue, non, c’était bien pire que cela. J’ai été détruite de l’intérieur sans que jamais il ne touche à ma peau, mon aspect extérieur. Je suis morte à petit feu, au fur et à mesure. Un plat mijoté à feu doux jusqu’à l’anéantissement ou presque.


Je me croyais être une femme forte, brillante, intelligente, drôle, belle. A ses yeux j’avais toujours tort, en tout point, en tous lieux. Tous les jours, je faisais face à des engueulades, des reproches. Face je gagne, pile tu perds. Voilà à quoi se résumait ma vie. « Face je gagne, pile tu perds », une des phrases qu’il préférait, sa blague à lui.


Chaque jour, j’avais hâte d’être heureuse, de vivre des moments passionnants, de croquer la vie à pleine dents. Mais chaque matin, il se réveillait d’humeur maussade et je perdais de ma superbe. Des reproches, encore et toujours, à peine formulés, toujours voilés. Je me demandais ce que j’avais fait de mal. Alors j’ai mis en place milles stratagèmes pour l’apaiser : le laisser dormir plus : « ouais bah tu t’es barrée, j’aurais voulu te faire un câlin ce matin », lui préparer son petit déj, il n’était jamais content, le laisser se réveiller tranquillement sans lui parler et j’étais taxée d’être froide ou de faire la gueule. Face je gagne, pile tu perds… J’ai appris petit à petit que tout était toujours de ma faute. Et pourtant je faisais toujours plus pour ne pas le froisser.


Je me souviens encore avec terreur de mes ressentis le soir, juste avant qu’il ne rentre à la maison. La tension qui montait, mon repérage en mode scanner de la pièce pour m’assurer que tout allait bien, que je n’avais rien oublié, que rien ne puisse l’agacer. Cette angoisse dont je taisais le nom qui montait inexorablement en moi. Dans quel état va-t-il être ? Va-t-il être de bonne humeur ou va-t-il encore plomber les choses ? Son humeur sombre était là. Tout le temps. Et si d’aventures, il était de bonne humeur alors quelque chose que j’avais fait ou dit le remettait dans des colères absolument furieuses.

Il me faisait peur, mais je n’osais pas le voir, je n’osais pas me l’avouer. Impossible, pas avec mon caractère, mon bagout, mon répondant. Ce n’est pas faute d’avoir lutté sans cesse, de m’être rebellée, d’avoir tenté de ne jamais sombrer.


Mais il connaissait parfaitement mes failles. Il savait parfaitement quelle combinaison opérer pour me faire mal, me toucher-couler. Moi, si logique dans mon raisonnement, avançant mes pions méthodiquement, factuellement, il renversait tout sur son passage. Je croyais devenir folle. Je devenais folle, j’étais folle. Je hurlais, vociférais, tempêtais. Je ne me laissais pas faire. Mais il détournait toujours les sujets ou pire se taisait. Me laissant seule avec ma rage au ventre, les larmes aux yeux, la solitude et l’incompréhension chevillée au corps. « Tu vois que t’es une putain d’hystérique, tu passes ta vie à gueuler. » « Tu crois que c’est agréable franchement ? » Et là, moi, bras ballants, ne pouvant que constater mon état physique, émotionnel et mental. Bah oui, il avait raison. Regarde dans quels états tu te mets pour rien. Est-ce si grave au final ?


Abattue, résignée ou encore plus en colère, je me disais bien que quelque chose ne tournait pas rond. Plutôt que de le remettre en question, lui, c’est moi que je regardais et que j’interrogeais. Dans ses yeux, j’étais le coupable. Lui, il était triste, malheureux, mal dans sa peau. Il ne vivait que des situations d’injustice, des boulots qu’il ne gardait jamais bien longtemps, une femme qui gagnait plus que lui, une famille dysfonctionnelle. Il me montrait ses failles et moi, je lui criais dessus. Alors que moi, j’avais un boulot, une famille stable, je pourvoyais au besoin du foyer. Madame Parfaite. Lui avait des raisons d’être malheureux, pas moi. Moi j’avais de la chance, moi… Alors oui, c’était moi le problème. Pas lui.


Au fil du temps, j’ai sombré. J’ai sombré dans une danse macabre entre pertes de repères, colères, doutes, angoisses. Je ne savais plus qui j’étais. Je savais juste que j’avais tort. Que je ne faisais jamais les choses assez bien. Je faisais tout pour être parfaite, je m’épuisais à essayer de louvoyer. Un serpent face à la flûte de son propriétaire, j’essayais de danser à son rythme, sans vague brusque, sans faire de bruit. Et quand je lui rendais ses responsabilités, il trouvait toujours à redire pour me culpabiliser ou il plongeait dans l’indifférence et l’ignorance… Face je gagne, pile tu perds.


Mon boulot n’était pas un vrai travail de ma part, c’était purement et uniquement de la chance, je n’y étais pour rien. Mes amis ne m’aimaient soit disant pas vraiment. Et puis ils voyaient bien que je faisais toujours la tête. « Elle n’est vraiment pas facile Marie ». « Regarde-le, lui si drôle, si charismatique. Tu as vu comment elle lui pourrit la vie ? » « Le pauvre… » « Elle surveille ses verres tout le temps. Il peut pas s’amuser, c’est dingue ». « Avec ses périodes de chômage à répétition, c’est pas facile pour lui et t’as vu comment elle est castratrice ? » Désolée de ne pas le trouver drôle quand il a 5 grammes dans chaque pneu, qu’il se ridiculise, qu’il pue l’alcool et que c’est moi qui doit le gérer après ! Bah non !


Puis pour lui, le sexe, c’était 90% d’un couple. Il le répétait comme une forme de couperet. Quand je refusais, que je le dise gentiment ou non, il forçait ou me faisait clairement la tronche. Il me faisait payer mes refus, parfois des jours durant. Alors pour être tranquille, j’ai appris à ouvrir les jambes et priant pour que ça passe vite. C’était ma seule manière de trouver durant l’acte ou ailleurs des caresses et des gestes que je croyais tendres. Il m’arrivait de pleurer, de lui demander d’arrêter mais rien n’y faisait : « j’ai bientôt fini » … Puis sans un câlin, sans un mot tendre, il se tournait sur le côté et s’endormait. Moi je restais seule, traumatisée, perdue, le plus souvent en larmes… Prostrée. Quand j’abordais le sujet, alors je lui faisais un affront, je remettais en cause sa virilité. Il s’énervait en me faisant comprendre que j’étais frigide, il refusait la confrontation où pire, il me prenait dans ses bras et s’excusait. Je me sentais entendue, rassérénée, comprise enfin, mais c’était pour mieux recommencer quelques heures ou jours plus tard.


J’étais devenue dure, froide, souvent en colère, hystérique. Mon corps, mon cœur, mon âme criaient à l’injustice. J’étais tellement perdue. Tellement. Je ne croyais plus en moi, en mes avis, en mes doutes. Je vivais à travers lui. Il ne me disait presque jamais je t’aime. C’était pour lui des mots qu’il fallait dire avec parcimonie pour ne pas les abîmer à force de les répéter pour rien. Je les quémandais.

Le pire, c’est que je le protégeais. Quand je parlais de lui, de notre couple, je minimisais les choses et j’expliquais que je n’étais pas facile à vivre non plus. Qu’on était un couple conflictuel mais qu’on s’aimait tellement ! Personne n’a jamais su la vérité. Pas même moi, comme dans un stress post traumatique, j’ai oublié une grosse partie de la réalité pour ne pas en mourir.


Pourquoi suis-je restée ? Pourquoi ai-je accepté ? Aujourd’hui sortie de l’emprise, je ne cesse de me répéter cette question… de m’en vouloir… J’ai longtemps eu le sentiment de parler d’une autre personne quand je pensais à moi, à cette époque…


Je suis restée car je l’aimais tellement. Je suis restée car je me voilais la face. Parce que j’avais peur de vivre sans lui. Je suis restée car il était si drôle et charmant par ailleurs. Si tendre parfois, si capable de me faire rêver…


Je suis restée car c’était mon premier amour, parce que nous avions les mêmes amis depuis toujours, parce que sans lui je ne voyais pas vivre.


Je suis restée car je pensais que c’était normal, que tous les couples s’engueulaient, je suis restée parce qu’il ne me tapait pas, je suis restée parce que je n’avais aucune idée de ce qu’étaient des violences psychologiques. Je suis restée parce que j’étais sidérée, en état de choc.


Je suis restée car je pensais mériter ce qu’il m’arrivait. Je suis restée car je ne m’aimais pas. Car je ne me considérais pas. Parce que j’avais appris à être dénigrée au quotidien et que je ne me voyais plus telle que j’étais réellement, mon miroir était devenu déformant.


Je suis restée car je pensais que je ne valais rien. Parce que face à lui et aux sentiments d’injustice si forts que je ressentais j’étais devenue méchante et aigrie. Parce que nos proches me disaient, me montraient dans leurs paroles et leurs gestes que comme dans tout couple les torts étaient partagés. Je suis restée car j’ai entendu toute ma vie durant que j’étais une tête de cochon et que mon caractère me vaudrait des soucis. Je suis restée car je l’aimais et l’estimais plus que je ne m’aimais moi-même…


Je suis restée parce que je ne m’aimais pas assez… "

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