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VIOLENCES INTRAFAMILIALES : INTERVENTION DES GENDARMES ET DEPOT DE PLAINTE

  • SiTuM'aimes
  • 26 févr. 2019
  • 5 min de lecture

Laurent Kerdoncuff, lieutenant-colonel et chef du bureau « Sécurité Publique, Partenariats » à la région de gendarmerie du Pays de la Loire, répond à mes questions !

Laurent Kerdoncuff s'occupe entre autres du développement des partenariats avec différents acteurs institutionnels et associatifs, et d'animation d'actions de prévention de la délinquance, cadre dans lequel s'inscrivent les violences intrafamiliales.


Laurent Kerdoncuff à l'assemblée des Maires de Loire-Atlantique


SdC : Monsieur Kerdoncuff, pourquoi cette volonté de vous engager sur la problématique des violences intrafamiliales ? L.K : C'est vrai que les gendarmeries de Loire-Atlantique sont particulièrement engagées dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Cela répond d'abord à des directives nationales et gouvernementales, dans le cadre de la stratégie de la prévention contre la délinquance. Pour mener ces actions, nous nous appuyons sur une entité créée en 2010, la brigade de protection des familles, qui se base sur un réseau d'une soixantaine de gendarmes formés dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Ensuite, j'ai organisé ici, au niveau de mon service - à l'échelle départementale -, une structure organique. C'est un groupe de trois sous-officiers et de deux jeunes en service civique qui sont chargés de suivre au quotidien toutes les interventions à caractère social, et notamment l'intervention des gendarmes dans le cadre des violences intrafamiliales.

SdC : Comment se passent ces interventions ? L. K. : Un appel est passé aux forces de l'ordre via le 17. Ce sont soit les victimes, soit les voisins, soit des usagers qui appellent. Ils sont immédiatement mis en relation avec le centre opérationnel de la gendarmerie. Celui-ci engage une patrouille de gendarmes pour aller constater, à l'adresse des requérants, la situation telle qu'elle peut être présentée lors de l'appel.

C'est une situation toujours assez difficile pour les gendarmes, parce que dès l'instant où l'appel a été passé, la tension de la situation baisse. Quand les gendarmes arrivent, la tension est généralement beaucoup moins palpable. Sauf cas exceptionnel d'un individu, je dis « un » parce que souvent ce sont des hommes, qui soit particulièrement excité ou violent en présence des gendarmes, ce qui conduit immédiatement à son interpellation.

A l'arrivée des gendarmes, donc, et c'est écrit dans leur compte-rendu, la situation est calme, sans violences constatées. Mais attention, cela ne ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de violences. La situation est toujours très variable. Certains individus ont été particulièrement violents, ont tout cassé, et d'autres ont été plus subtils, avec une violence plutôt dans les propos, la menace verbale, les insultes. Et si les gendarmes n'en sont pas directement témoins, ils ne peuvent pas le constater.

Ensuite, soit ils pénètrent au domicile pour voir s'il y a des traces d'une quelconque violence, soit ils ne peuvent pas entrer parce qu'ils n'ont pas de motivation à le faire. Parce qu'évidemment, on ne peut pas entrer dans les domiciles n'importe quand, sous n'importe quelle condition. C'est donc l'échange avec les parties prenantes qui va leur permettre d'évaluer et de prendre une décision.

SdC : Pourquoi cette baisse de tension à l'appel des gendarmes ? L.K. : Tout simplement parce qu'en appelant les forces de l'ordre, cela crée chez l'individu qui, a priori, est à l'origine du trouble, un sentiment de crainte, ou d'excitation, qui va de toute façon atténuer la tension et l'intensité de l'événement.


SdC : Combien d'interventions pour des violences intrafamiliales les gendarmes ont-ils à gérer par jour ? L.K. : Au quotidien, les gendarmes interviennent environ quinze fois en semaine dans le département, et environ une trentaine de fois le week-end. On observe des pics de violences dans les périodes printanières et estivales. Au-delà de ces pics, nous avons quand même, toute l'année et tous les jours, des interventions de type violences intrafamiliales.

En 2018, il y a eu une augmentation de 10% des interventions des gendarmes. Au 31 décembre 2018, ils sont intervenus dans le cadre des violences intrafamiliales à 2883 reprises.

La cause, c'est qu'au travers des actions publiques qui sont menées dans ce domaine là, y a de plus en plus d'informations et de mesures incitatives pour que les victimes se manifestent. Il n'y a donc pas eu plus de violences, mais plus de signalements, donc c'est une bonne nouvelle !

Un de nos objectifs est de vraiment informer le mieux possible les personnes sur leurs droits et leurs intérêts en tant que victimes et d'engager des procédures judiciaires de dépôt de plainte, parce que c'est la réponse pénale qui est aujourd'hui prônée pour régler ce type de délinquance.

SdC : Les plaintes qui sont portées à la gendarmerie font-elles toutes suites à ce type d'interventions ? L.K. : Pas toutes. Certaines personnes viennent porter plainte sans qu'il y ait eu d'interventions au préalable. En terme statistique on peut considérer qu'une victime sur deux liée à une intervention de la gendarmerie dépose plainte.

1437 personnes ont déposé plainte en 2018, ce qui correspond à une augmentation de quasiment 20%. Encore une fois, une bonne nouvelle !

SdC : Comment ça se passe de porter plainte ? L.K. : C'est une démarche complexe et psychologiquement difficile, parce qu'aller porter plainte contre son conjoint, comme c'est souvent le cas dans ce cadre-là, n'est pas quelque chose de naturel. Informer les gens sur leurs droits est essentiel, pour qu'ils se reconnaissent en tant que victimes, et qu'ils intègrent les droits qui leur sont attribués. Ensuite, les travailleurs sociaux placés auprès de la gendarmerie peuvent être là pour leur expliquer l'enjeu d'une procédure judiciaire avec dépôt de plainte.

Le dépôt de plainte en lui-même est une prise de rendez-vous dans une brigade de gendarmerie. Dans la mesure du possible, un gendarme référent aux violences intrafamiliales accueille et enregistre le dépôt de plainte, qui se concrétise par une déclaration très factuelle, un exposé des faits. Puis le gendarme fait préciser un certain nombre de points pour matérialiser l'infraction de « violences volontaires par le conjoint».

Ensuite, certaines plaintes sont traitées directement avec les magistrats, tandis que d'autres font l'objet d'une instruction par le procureur. Les gendarmes n'ont pas le retour sur les suites données. En effet, ils sont là pour mener l'enquête et apporter au procureur des éléments constitutifs, de manière à ce que, en fonction de la gravité des faits et des violences, celui-ci apporte une réponse. Soit en terme de mesures alternatives aux poursuites, soit en terme de condamnation devant le tribunal correctionnel. Le procureur dispose d'un éventail de réponse, et il est indépendant et autonome dans sa réponse.

SdC : Y a-t-il un profil type de personnes qui portent plainte ? L.K. : Ce sont majoritairement des femmes, à plus de 80%. Les enfants mineurs au sein du foyer familial sont également considérés comme des victimes, sauf qu'ils n'ont pas la capacité juridique de porter plainte.

Il y a également des hommes, et des situations de couples homosexuels, de plus en plus. Souvent, on a à faire à des couples qui pendant de nombreuses années n'ont pas libéré la parole, comme des séniors par exemple. Et tous les dispositifs qu'on a évoqués permettent justement aux gens de prendre conscience ou de franchir le pas, d'aller déposer plainte.

SdC : Un dernier mot, sur la place des enfants dans ces violences ? L.K. : On reconnaît les enfants comme des victimes dès l'instant où ils sont témoins et où il est établit qu'ils évoluent dans un milieu de violences. Leur parole est de plus en plus recherchée pour argumenter les faits de violence, car quand on est dans le registre du harcèlement, il est compliqué d'établir matériellement les faits. On travaille, en terme d'investigation, sur de la téléphonie, des échanges de SMS, les réseaux sociaux, et le témoignage des enfants est essentiel, par rapport à ce qu'ils peuvent observer ou vivre. Parce qu'on sait qu'un enfant qui va évoluer dans un environnement violent va se construire, en terme d'éducation, dans un schéma de violence, qu'il sera peut-être amené, malheureusement, à reproduire.


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