DES GROUPES DE PAROLE POUR HOMMES AUTEURS DE VIOLENCES CONJUGALES
- SiTuM'aimes
- 12 juin 2019
- 10 min de lecture
Guillaume Jouis nous parle aujourd’hui des stages de responsabilisation et des groupes de paroles que son association met en œuvre en direction des auteurs de violences conjugales. Travailler avec les auteurs de violences, c’est leur permettre de prendre conscience de leurs actes et de prévenir leurs réitérations. C’est protéger les victimes et lutter activement contre les violences conjugales.

SdC : Bonjour, que pouvez-vous nous dire sur votre association ?
G. J. : L’association d’Action Educative, qui n’intervient que dans le département de la Loire-Atlantique, compte environ 190 professionnels. C’est une association spécialisée dans le champ de la protection de l’enfance, et elle dispose de 4 services.
Le premier met en œuvre des mesures d’accompagnement éducatif sur décision d’un juge des enfants, et des mesures d’aide éducative à la demande des parents.
Le deuxième est un service d’hébergement pour des mineurs placés sur décision du juge aux affaires familiales.
Le troisième service porte sur l’investigation éducative, et j’en suis directeur aujourd’hui. Nous mettons en œuvre la MJIE (Mesure Judiciaire d’Investigation Educative), décidée par le juge des enfants. Elle est ordonnée lorsqu’il estime qu’il manque d’éléments pour apprécier la réalité d’une situation de danger ou le risque de danger. Il nous demande donc d’intervenir pour recueillir davantage d’éléments sur la situation, grâce à des professionnels qui interviennent auprès de ces enfants (psychologues, conseillers sociaux….).
Enfin, le quatrième service est un service pénal socio-judiciare. Ce n’est pas à proprement parler de la protection de l’enfance, mais c’est une mise en œuvre de mesures sur la dimension pré-sentencielle, avec des adultes et quelques enfants qui ont commis des délits.
SdC :Où se situent les actions mises en place pour les auteurs de violences conjugales ?
G. J. : Elles se situent dans ce quatrième service, le service pénal socio-judiciaire.
L’association met en place trois actions en direction de ces auteurs pour prévenir la réitération de ces violences.
La première est l’éviction du conjoint violent. Lorsqu’une personne est déférée, c’est-à-dire amenée au tribunal, et que la question d’un placement en détention provisoire se pose, notre association réalise une enquête sociale rapide auprès de cette personne dans les geôles du tribunal. Cela nous permet, lorsque le magistrat envisage de placer la personne sous contrôle judiciaire et de procéder à une éviction de son domicile, de voir si elle a les ressources pour être hébergée ailleurs. Des ressources amicales, familiales, financières, voir si elle a les moyens de se financer un autre hébergement ou si quelqu’un peut l’héberger. Si ce n’est pas le cas, l’association va lui financer immédiatement une à trois nuits d’hôtel. Ensuite, ce sera le dispositif de veille sociale de la ville qui lui proposera un logement jusqu’à la date du jugement. L’idée de ce financement d’hôtel, c’est d’éviter que, remise en liberté, la personne retourne au domicile de sa ou son conjoint.e et qu’il y ait de nouveaux faits de violence.
SdC : Vous menez également des stages de responsabilisation ?
G. J. : Tout à fait, c’est la deuxième action. Les stages de responsabilisation pour auteurs de violences conjugales existent depuis 2013. Il s’agit de deux jours pendant lesquels se succèdent des interventions dynamiques incarnées par des animateurs et des professionnels. Interviennent la gendarmerie nationale sur la question de la loi et de la procédure pénale ; France Victime 44, qui revient sur la place de la et des victimes ; l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie), qui intervient sur le rôle du toxique dans le passage à l’acte ; et des animateurs de notre structure qui vont intervenir sur les différents types de violence, les stratégies d’évitement, les conséquences pour les auteurs du passage à l’acte, et les perspectives de prise en charge après le stage.
Les participants à ce stage sont uniquement sous main de justice, c’est-à-dire qu’ils sont soumis à une procédure judiciaire qui les contraint à y assister. L’idée, c’est vraiment de travailler sur l’impact de la violence qu’ils ont commise, leur donner les informations qui les feront réagir, et susciter un changement.
Le parcours personnel n’est pas aussi présent dans le stage que dans les groupes de paroles que nous mettons également en place. Mais on leur demande quand même de revenir sur le passage à l’acte. On leur présente aussi les prises en charge possibles et notamment le groupe de paroles, troisième action de l’association pour les auteurs de violences conjugales.
SdC : Pouvez-vous mesurer les impacts du stage sur ces auteurs ?
G. J. : Les animateurs vous diront que les participants ne partent pas tous de la même ligne de départ. On a au début clairement des gens qui vont légitimer leur passage à l’acte, voire même ne pas la reconnaître. Mais tous cheminent sur les deux jours.
A la fin du stage, on leur fait passer un questionnaire anonyme. Tous les ans, le chiffre qui revient, c’est que 85% d’entre eux disent que ce stage peut les aider à ne pas récidiver et mieux comprendre leur fonctionnement. Des chiffres à relativiser, mais pour le moins encourageants !
Et en 2017, avec l’aide d’un magistrat du parquet de Nantes, nous avons interrogé le logiciel justice du tribunal pour voir une éventuelle récidive ou réitération des participants du stage depuis 2013. Ce qu’on a constaté, c’est que 95% des participants n’ont pas récidivé. C’est un chiffre à relativiser. En effet, une absence d’inscription dans les registres ne signifie pas que la violence ne s’est pas reproduite : il se peut qu’il y ait eu une récidive mais aucune plainte de déposée par exemple. Donc ce n’est pas à prendre pour argent comptant mais c’est là aussi quand même très encourageant.
En ce moment nous travaillons aussi avec l’université de Nantes pour voir comment évaluer tout ça plus scientifiquement. L’idée serait de pouvoir créer deux échantillons, un échantillon avec des auteurs de violences conjugales ayant participé au stage, et un autre avec des auteurs n’ayant pas participé au stage. L’idée serait de comparer les impacts entre les deux. On aimerait pouvoir avancer là-dessus.
SdC : Dans le cadre de vos actions, rencontrez-vous également des auteures femmes de violences conjugales ?
G. J. : Dans notre stage de responsabilisation, les participants sont régulièrement des femmes. C’est largement minoritaire, mais nous parlons de violences au sein du couple, donc cela peut tout autant concerner des hommes que des femmes. En revanche le groupe de paroles est exclusivement masculin, parce que créer un groupe mixte viendrait biaiser les questions d’auteurs et de victimes.
Idéalement il faudrait créer un groupe uniquement de femmes auteures, mais actuellement il n’y a pas assez de femmes auteures se déclarant comme telles et ayant la volonté d’intégrer un groupe de paroles. A ma connaissance il n’y a pas d’associations, du moins en Loire-Atlantique, qui peuvent les prendre en charge. Les seules prises en charge qui peuvent leur être proposées, j’entends au long cours, serait un soutien psychologique ou psychiatrique en individuel.
SdC : Justement, pouvez-vous nous parler des groupes de paroles ?
G. J. : Oui, c’est la troisième action de l’association pour les auteurs. Ils existent depuis 2007 dans notre association. C’est un dispositif ouvert à des personnes qui sont là aussi sous main de justice, donc obligées d’y participer, mais aussi des personnes qui ne sont pas concernées par une procédure pénale, et qui se savent auteurs de violences. Au début il n’y avait que des personnes sous main de justice, puis les groupes se sont fait connaître et maintenant ils ne sont plus que la moitié. L’autre moitié vient de son plein gré. En tout, ils sont huit à chaque séance.
Quand une personne nous contacte pour intégrer le groupe de paroles, il rencontrera au préalable un des animateurs en entretien individuel. On lui présente notre contrat de participation, avec ses obligations. Arriver à l’heure à toutes les séances, respecter la parole des autres participants, l’impossibilité d’intégrer la séance s’il arrive plus d’un quart d’heure en retard, l’exclusion du groupe s’il ne participe pas à deux séances, l’obligation de venir sobre… Il y a également une participation financière, adaptée en fonction des revenus qu’ils nous déclarent. Chaque séance leur coûte entre deux et vingt euros en fonction de leurs revenus. Cela fait aussi partie de l’engagement.
On leur présente le fonctionnement du groupe, et on leur fait signer un contrat de participation qui va les engager sur huit séances. C’est un vendredi toutes les deux semaines pendant deux heures. Cela veut dire que dès que la personne s’engage, elle s’engage pour quatre mois.
Au début, il y avait un groupe le premier semestre et un groupe le second. Maintenant le groupe fonctionne toute l’année, ce qui veut dire qu’il y a des entrées et des sorties permanentes. Alors qu’au préalable, c’était les huit mêmes participants qui faisaient de la première à la dernière séance ensemble. Maintenant, si l’on prend par exemple le groupe de vendredi prochain, il va y en avoir pour qui c’est leur première séance, d’autres leur quatrième, d’autres leur dernière, etc…
SdC : Qu’est-ce que cela change en terme de dynamique de groupe ?
G. J. : Cela permet d’abord de diminuer le temps d’attente pour accéder aux groupes. Avant, une personne qui souhaitait intégrer le groupe en février par exemple était obligée d’attendre septembre. Désormais on peut répondre à ses attentes plus vite. Et il y a quelque chose de plus cohérent dans la dynamique qui est la sienne, dans le respect de cette demande d’être accompagné en février et pas en septembre. Et puis il y a un risque de décrochage si on ne le sollicite pas immédiatement.
Cela permet aussi de recentrer les échanges sur le passage à l’acte. A chaque fois qu’un participant intègre le groupe, la première des choses qu’il a à faire est de dire pourquoi il est dans ce groupe. Il doit revenir sur ce passage à l’acte de violences qui l’amène à ce groupe de paroles.
SdC : Comment se passe le groupe en lui-même ?
G. J. : Alors, le groupe est animé par deux professionnels formés par une école québécoise qui s’appelle Option, et par notre fédération, la Fédération Citoyens et Justice. Dans le cadre du groupe, on est sur l’idée de partir du vécu des participants, pour élaborer ce qui les a amenés à commettre des actes de violences dans leur couple.
Les animateurs sont formés à des thématiques récurrentes qui doivent être abordées pendant ce groupe, mais elles ne sont pas imposées. Ils s’appuient sur ce que les participants décident d’aborder et s’en saisissent pour amener le groupe à réfléchir sur telle ou telle problématique. Comme par exemple, l’exposition aux violences dans leur parcours personnel, la place de la victime, la question de la prise de toxiques... Mais ces thématiques ne sont pas abordées de manière hiérarchique, ou chronologique. Ça dépend des groupes et des moments.
Ce qu’on observe, c’est que les profils des personnes sont très différents en termes d’âge, de situation sociale et familiale. Mais pour une très large majorité d’entre eux, ils ont été exposés à de la violence durant leur parcours, notamment quand ils étaient enfants.
SdC : Avez-vous pu déjà mesurer les impacts de ces groupes ?
G. J. : Nous avons le vécu des animateurs, s’ils observent une évolution chez les participants. Là, très clairement, on observe depuis 10 ans que tous les participants assistent à l’ensemble des séances, aucun n’a arrêté en cours. Ce qui signifie pour nous une forme d’investissement et de remise en question, parce que c’est un espace où ils peuvent remettre en question leur fonctionnement. Et tous évoluent dans leur démarche de responsabilisation. Là où au départ ils ont systématiquement tendance à minimiser leur passage à l’acte, voire même à le légitimer, tous évoluent en termes de leur responsabilité propre dans le passage à l’acte. C’est important de comprendre sa responsabilité pour éviter de réitérer l’acte.
SdC : Comme votre association porte majoritairement sur la protection de l’enfance, que pourriez-vous nous dire par rapport aux enfants qui évoluent dans un climat de violences conjugales ?
G. J. : Pendant très longtemps, il y avait d’un côté la question de la protection de l’enfance, et de l’autre celle des violences conjugales. Et ça se croise enfin, ce qui est une très bonne chose.
L’ensemble des animateurs du stage de responsabilisation exercent par ailleurs des actions au sein de l’Association de l’Action Educative, gèrent des mesures d’AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert), travaillent en maisons d’enfance, ou mettent en œuvre des mesures d’investigation éducative. C’est leur cœur de métier. Et ils ont ensuite fait le choix de se former à la question des violences conjugales, et de travailler auprès des auteurs.
Au sein de mon service, le service d’investigation éducative, nous avons environ un enfant concerné par une MJIE sur quatre qui a été exposé à un contexte de violences conjugales. Un chiffre très important.
SdC : Comment ces enfants se retrouvent-ils dans votre association ?
G. J. : Au début, il y a quelqu’un (de l’école, un assistant social, un voisin, un membre de la famille) qui s’inquiète de l’exposition de l’enfant à ce contexte-là. Ensuite, ça peut être un juge des enfants qui est saisi de cette situation. Et si l’enfant est en danger ou risque de danger, le juge peut décider soit de l’intervention d’un éducateur ou d’une éducatrice pour travailler auprès des parents pour que les enfants ne soient plus exposés aux violences conjugales, soit d’une mesure de placement, si l’enfant est gravement mis en danger. Le juge des enfants se fait aider de services comme le nôtre pour mieux comprendre ce qui est en train de se jouer pour cet enfant. L’idée, c’est d’intervenir aussi en termes de droit, c’est-à-dire que si l’enfant est exposé, il faut aussi savoir si le parent qui subit les violences est informé de ses droits, s’il y a une possibilité de l’accompagner pour qu’il ne soit plus victime, si l’auteur est conscient des violences et de leur impact sur l’enfant… Le travail éducatif va se jouer à ce niveau-là.
SdC : Pourquoi avoir décidé de mener en parallèle de cette protection de l’enfance, des actions en direction des auteurs et non pas des victimes de violences conjugales ?
G. J. : C’est quelque chose d’important pour nous. On considère qu’on ne peut pas intervenir dans le cadre des violences conjugales sans intervenir auprès des auteurs. Sinon il y a quelque chose du non-sens.
Pour moi, il est essentiel que dans cette lutte contre les violences au sein du couple, on mesure bien les actions en direction des auteurs sans rien minimiser ou relativiser des actions en direction des victimes. Si on veut mener ce combat de façon adaptée, et avec des réussites au bout, les deux doivent se mener de front. C’est vraiment notre conviction. Mais elle est difficile à mener aujourd’hui parce que les moyens qui nous sont alloués pour le faire sont plus que limités.
Notre idée, c’est que les actions uniquement tournées auprès des victimes sont évidemment essentielles et hautement importante : accompagner, prendre en charge, soutenir les victimes. Mais si en parallèle on n’intervient pas auprès des auteurs, on ne fait qu’entretenir la situation des victimes conjugales.
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